"LES BARJOTS, LES SCHIZOS ET LES AUTRES..."

« Comment empêcher les malades psychiatriques de nuire ? » (Sud Ouest Dordogne – 18 février 2021)

 

Ce titre de journal à la psychophobie ordinaire est encore bien trop fréquent, en tout cas en France. D’ailleurs, le journaliste ne s’est pas excusé, n’ayant pas voulu admettre que le titre racoleur de son article était surtout bourré de préjugés excluants et révélateur de ce qu’il pensait.

 

Les usagers en santé mentale, et notamment ceux atteints de troubles chroniques comme les troubles schizophréniques ou la bipolarité, ont l’habitude d’être perçus ainsi. Des fous, potentiellement dangereux, dont la société doit absolument se prémunir.


Faisons un parallèle avec un vieux film. Celui de David Lynch, « Elephant man », qui raconte l’histoire de John Merrick atteint du syndrome de Protée. Toute sa vie, il sera un homme réduit à son apparence physique et instrumentalisé de la pire des façons ; tout d’abord exhibé comme un « freaks », un phénomène de foire, puis exhibé dans l’ambiance plus feutrée d’un collège scientifique, devant des médecins, ou dans le milieu de la haute bourgeoisie. Mais exhibé toujours.

 

Dans ce film (tiré d’une histoire vraie), rares sont les personnes qu’il croise qui voient au-delà de sa difformation physique et qui s’intéressent sincèrement à lui. Le Docteur Treves, qui le repère puis le suit, est d’ailleurs persuadé, au début de leur rencontre, qu’il est « débile congénital », et qu’il doit lui apprendre, d’une manière robotisée, à s’exprimer, sans se douter que derrière l’« anormalité » apparente, il y a une grande intelligence et sensibilité.

 

D’ailleurs, il est intéressant de constater que David Lynch fait s’interroger le Docteur Treves sur la moralité de son comportement – « Suis-je un homme bon ? » - car quelle valeur peut-il accorder à sa soit-disant propre bienveillance alors qu’il étudie et utilise John Merrick avant tout à des fins personnelles, à son ambition professionnelle, et le maintient dans un rôle de « phénomène de foire », même si devant un public plus policé de médecins ?

 

De la même façon, lorsque des usagers en santé mentale sont réduits à leur seul statut d’usager par certains professionnels, ces derniers ne devraient-ils pas s’interroger eux aussi sur la moralité de leur comportement ? N’y a-t-il pas, là aussi, une instrumentalisation, voire une exhibition, de personnes qu’ils ne regarderaient même pas s’ils n’étaient pas utiles dans leur ambition professionnelle et leur avancement de carrière ? Les usagers ne sont-ils pas alors considérés, eux aussi, comme « phénomènes de foire » pour faire de la publicité aux belles valeurs, prônées par ces professionnels, que sont le « rétablissement » et l’« empowerment » ? Belles valeurs affichées un peu trop cyniquement puisque généralement bien loin de la réalité vécue par les usagers qui donnent très souvent de leur temps bénévolement, financent parfois eux-mêmes leurs déplacements, voire, pour les plus chanceux, peuvent espérer avoir un salaire légèrement supérieur au Smic lorsqu'ils travaillent comme Pairs-aidants, ce nouveau métier tant à la mode. Comme si l’idée de l’émancipation (empowerment) mise à toutes les sauces n’avait rien à voir avec l’émancipation financière. Comme s’il était acquis que les usagers devaient continuer à être dans une précarité financière, parce qu’ils ne pouvaient pas espérer mieux. On n’est pas bien loin de l’étiquette de « débilité mentale » assénée un peu trop rapidement au personnage de John Merrick. Et comme ce dernier, les usagers, souvent bien peu lucides, voire innocents, sont trop contents qu’on s’intéresse à eux, eux qui ont généralement connu dans leur passé totale indifférence, voire rejet et exclusion.

 

La mise en lumière, comme lors d’une des scènes finales du film « Elephant man », où John Merrick, spectateur devenu invité élégant d’une pièce de théâtre, est applaudi à la fin par le public, sur demande de l’actrice principale, n’est que provisoire. Et les applaudissements rappellent bien le fait que Merrick, comme la plupart des usagers en santé mentale, constituent toujours une partie du spectacle. A ce titre, ils restent des « phénomènes de foire ».

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