La psychothérapie institutionnelle

Historique

 

L’historique de la psychothérapie institutionnelle n’est pas très précise, mais on peut dire néanmoins que ce courant a commencé à se mettre en place lors de la seconde guerre mondiale. Avec les premières idées françaises de désaliénisme, où il s’agissait de conjuguer soins du patient, formation du personnel et humanisation des conditions hospitalières.

 

A cette époque, plusieurs lieux de soins en France inventent de nouvelles pratiques soignantes ; comme l’hôpital de Saint Alban où a travaillé le psychiatre catalan François Tosquelles. Celui-ci a fui l’Espagne (condamné à mort par Marco), mais avait déjà développé des idées créatives et anticonformistes lorsqu’il avait travaillé comme médecin psychiatre dans un camp de réfugiés ; il avait en effet à l’époque choisi de recruter des prostituées comme personnels soignants, considérant que ces femmes avaient une très bonne connaissance de l’humain.

 

Lorsqu’il a quitté l’Espagne, il s’est réfugié rapidement en Lozère, à l’hôpital de Saint Alban, avec notamment dans ses bagages un livre de Hermann Simon qui développait l’idée qu’on devait considérer un établissement comme un organisme malade qu’il fallait constamment soigner si on voulait pouvoir soigner efficacement les patients qui y séjournaient.

 

Il devra refaire en France tout son parcours de formation et repasser par les statuts d’infirmier puis d’interne avant de devenir médecin-chef de l’hôpital de Saint Alban.

 

Même si les débuts de la psychothérapie institutionnelle date des années 1940, certaines de ses idées sont bien plus anciennes. Ainsi, au siècle d’avant, le psychiatre (ou plutôt l’aliéniste comme on disait à l’époque) Jean-Etienne Esquirol (qui fut médecin-chef de la Pitié Salpêtrière) avait développé comme idée que l’établissement lui-même pouvait avoir fonction de soins : « Une maison d’aliénés peut être un instrument de guérison. Entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales. »

 

L’ambiance au sein de l’établissement est ainsi considéré par ce courant comme une donnée essentielle dans le projet thérapeutique. Cf. aussi ce qu’écrivait Hermann Simon : « Dans le psychisme de chaque patient existe, à côté d’une partie malade, une partie saine et le psychiatre doit intentionnellement négliger la première".../... "Chez chaque malade, à côté des symptômes appartenant en propre à la maladie mentale, se trouvent d’autres manifestations psychiques (agressivité, inhibition, théâtralisme, stéréotypies, manifestations à caractère antisocial...) qui sont conditionnées par l’ambiance. L’application à une vie collective active et ordonnée est le meilleur moyen psychothérapeutique pour obtenir la guérison du symptôme. »

 

Les lieux les plus connus de la psychothérapie institutionnelle en France sont, outre l’hôpital de Saint Alban en Lozère (François Tosquelle) : la clinique de La Borde (dirigé par Jean Oury, malheureusement décédé en 2014) et la clinique de La Chesnaie (dirigé par Claude Jeangirard) situées toutes les deux à Blois.

 

Par ailleurs, la richesse éclectique des références de ce courant influencera bon nombre de personnes, qu’elles soient soignantes (psychiatres, psychanalystes) ou autres (philosophes, sociologues, voire artistes).

 

De ce constat et de cette histoire, riche, vont être développés plusieurs concepts propres à la psychothérapie institutionnelle qui sont les suivants.

 

L’institution, et notamment l’établissement, est abordé dans une approche thérapeutique


La psychothérapie institutionnelle part donc de l’idée que l’institution (et l’établissement) peut être un « outil de soin ». Comme à l’inverse, elle peut contribuer à maintenir une « aliénation sociale », voire renforcer l’« aliénation psychopathologique » de la personne (cf. concept de double aliénation).

 

Rappelons que dès ses débuts, la psychothérapie institutionnelle a été influencée par plusieurs courants, la psychanalyse et la psychiatrie, mais aussi le marxisme et la pédagogie. C’est la double influence Freud et Marx qui a permis d’ailleurs de penser au risque de double aliénation, l’une psychopathologique (Freud), l’autre sociale (Marx).

 

Sont ainsi isolées et reconnues à cette époque les manifestations pathologiques résultant de la vie en institution, et propres au milieu hospitalier psychiatrique. Ce qui permettra de prioriser l’idée que l’institution elle-même pouvait avoir une fonction soignante (ou aliénante).

 

Ainsi, si la structure dysfonctionne, elle entraîne un dysfonctionnement chez les salariés et chez les personnes qu’elle est pourtant sensée aider (cf. notion de « pathoplastie » : quand le milieu lui-même produit de la pathologie).

 

La psychothérapie institutionnelle considère ainsi que l’environnement hospitalier peut et doit être orienté dans une approche thérapeutique.


La libre circulation permet d’adapter un transfert propre aux psychoses

 

Hermann Simon pensait que pour qu’un patient puisse « investir » son entourage et que ces investissements aient quelque valeur signifiante, il devait pouvoir circuler librement – le transfert étant lié de façon très étroite avec le fonctionnement de l’établissement, son ambiance, sa fonction d’accueil, ses offres d’échanges, véritables conditions de possibilité des rencontres.

 

Ainsi, comme le rappelait Jean Oury, « il est impossible de parler de la psychothérapie institutionnelle si on ne parle pas de la psychose, c'est inséparable de la théorisation que l'on fait, de façon permanente, de la psychose, de ce qu'on appelle la psychose ou les psychoses ; sinon cela n'a pas de sens. »

 

L’idée simple, et pourtant lumineuse, développée par le courant de la psychothérapie institutionnelle est qu’à logique dissociative propre aux psychoses, il fallait pouvoir proposer lieu de soin permettant un relationnel « dissocié » ; en clair, que l’établissement s’adapte à la structure de la personne accueillie. D’où l’idée de mettre en place un contexte permettant un « transfert dissocié » (avec plusieurs interlocuteurs différents) et/ou « constellation de transferts ».

 

L’intérêt d’avoir plusieurs interlocuteurs, d’interagir avec d’autres lors de groupes de paroles et/ou d’ateliers collectifs par exemple, l’intérêt aussi de multiplier les démarches extérieures (participer à un club thérapeutique, à une activité…), va permettre au patient d’avoir plusieurs possibilités de transfert, ce qui est une bonne chose car cela va permettre, soit d’éviter de se perdre dans une relation trop fusionnelle qui, pour le coup, peut être dangereuse (le transfert s’avérant alors anxiogène, voire menaçant, pour le soignant comme pour le patient), soit de faire un pseudo travail d’accompagnement thérapeutique, dans lequel personne ne s’implique (ni le soignant ni la personne), probablement par peur archaïque inconsciente (de la part du professionnel comme de la personne) de se perdre dans la fusion. Cette « constellation de transferts », qui sera retravaillée en réunions, va aussi permettre à l’équipe de pouvoir analyser, reconstruire et unifier, par le travail de « contre-transfert », le monde interne de la personne psychotique.

 

L’architecture des lieux peut aussi aider à cette multiplicité de mouvements, de liens soignants, les patients allant d'un lieu (bureau du psychiatre, chambre, cuisine, salle collective…) à l'autre en fonction du travail de soins et d’accompagnement, lieux où l’ambiance elle-même est singulière, et peut accentuer cette « constellation de transferts » et donc un « transfert dissocié ».

 

Mais la « constellation de transferts » n’a d’intérêt que si les éléments recueillis par les uns et les autres sur le patient sont discutés ensuite en équipe. Pour qu’ensuite le travail de soins soit réadapté en fonction de ces éléments.

 

Une personne dissociée ne se comporte pas de la même manière avec chacun, ni ne s’investit de la même manière dans ce qui peut être proposé ; très perméable aux ambiances (ambiance tant liée aux personnes qui s’y trouvent qu’au lieu lui-même), elle ne laisse voir souvent qu’une partie fragmentée de son fonctionnement. D’où le piège dans lequel certains soignants peuvent tomber, s’ils travaillent d’une manière trop solitaire et individualiste, quand ils sont trop persuadés d’avancer en terrain transparent, alors que le patient ne leur a donné à voir qu’une facette d’un puzzle bien plus complexe.

 

Analyser la « constellation de transferts » en équipe pour retravailler et réadapter en permanence ce qui est proposé comme travail de soins et d’accompagnement est donc une étape primordiale pour reconstruire justement ce puzzle.

 

Réfléchir à la projection du fonctionnement psychique du patient sur le fonctionnement de l’institution permet aussi d’en savoir plus sur la structure des personnes qu’on soigne. On lit en effet celle-ci à l’effet que l’individu a sur chaque soignant, sur l’équipe, et à l’effet qu’il a sur l’institution. Celle-ci peut ainsi devenir le partenaire du lien transférentiel.

 

Mais les psychoses permettent aussi d'interroger les équipes soignantes dans leur analyse (constater déjà si celle-ci est pertinente ou complètement à côté de la plaque…) et dans leur pratique.

 

Echanger permet de mieux accepter « l’étrangeté » de l’autre, sans se sentir contaminé et/ou inquiété (ou en analysant son inquiétude…), et d’aider l’autre à conscientiser et accepter en soi sa partie « étrange/étrangère ».

 

Et tenir compte de la structure du patient permet d’adapter sa relation au plus près de ce qu’il est. Comme le disait Jean Oury : « Il faut respecter la structure… On ne parle pas à un schizophrène comme on parle à un hystérique… »

 

La relation thérapeutique entre « soignants » et « soignés »

 

Après l’ambiance « concentrationnaire » de certains hôpitaux (ou plutôt asiles), c’est la prise de conscience de la part du personnel soignant qu’ils pouvaient se comporter avec les malades comme des gardiens de camps avec des prisonniers, qui fit évoluer les choses. Et poussa à modifier l’institution et l’établissement, pour modifier les relations entre soignants et soignés.

 

L’accent est mis sur la dynamique de groupe et la relation entre soignants et soignés (usagers), qu’il devient difficile de distinguer (François Tosquelles avait par exemple demandé aux soignants de ne plus porter de blouses).

 

L’institution n’est plus réduite à un simple lieu de soins et d’enferment, mais est intégré au traitement et devient un lieu de vie. Où tout est bon pour servir à « soigner » les patients qui y vivent. Et où tout est bon aussi pour responsabiliser ces derniers, et qu’ils prennent une part active à la vie et l’ambiance de l’établissement.

 

Le patient est ainsi responsabilisé en étant placé au centre de sa thérapie, l’institution étant structurée autour de cette seule fin.

 

En effet, chaque patient est considéré comme acteur de son traitement et de son projet thérapeutique ; il doit participer activement à ses soins, soins qui ne se résument pas au traitement médicamenteux. Il est ainsi poussé à s’investir dans des lieux de soins (ateliers thématiques, cuisine, imprimerie, poulailler, club thérapeutique…). Il peut d’ailleurs recevoir une somme en contrepartie de certains travaux (ménage, cuisine…), somme qui est reversée à une association interne regroupant soignés et soignants, et qui permet de mettre en place d’autres activités. Ainsi, un cercle dynamique se crée, et chacun est acteur de celui-ci.

 

Un personnel soignant en formation permanente


Les CEMEA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active), créés en 1937, se sont engagés dans l’idée que la psychiatrie et l’éducation devaient être considérés ensemble. Et ces centres proposeront très vite des stages de formation aux infirmiers en psychiatrie, stages qui serviront aussi de prétexte à des rencontres entre médecins, infirmiers et éducateurs.

 

Par la suite, le personnel (y compris les stagiaires) sera de mieux en mieux formé, la formation se faisant aussi sur le terrain en contact étroit avec les patients ; de ces idées émaneront la création des clubs thérapeutiques, et la psychiatrie de secteur.


En synthèse


Avec ses idées, très novatrices d’ailleurs à l’époque de sa création, la psychothérapie institutionnelle permet à une équipe de fonctionner de manière plus harmonieuse, donc plus soignante. Chacun y trouve ainsi son compte : les soignants comme les soignés.

 

De plus, le patient est placé au cœur de son projet thérapeutique, considéré comme acteur de celui-ci, et ce, même s’il est porteur d’une pathologie lourde.

 

En conclusion, on peut dire que c’est un courant qui a permis, plus qu’un autre, de travailler sur les notions d’empowerment, d’inclusion sociale et de rétablissement.